Comment rendre cela vivant? Le long métrage est en effet grandement constitué de discussions en AG mais la qualité de l'écriture, le nerf à l'image et l'investissement des comédiens font vibrer le film comme la pulsion vitale anime ses protagonistes confrontés à l'urgence. Eastern Boys déjà parlait du sort de clandestins et d'illégaux – les malades, et plus largement les homos, toxicomanes, prostitués ou prisonniers sont considérés comme tels par le pouvoir dans 120 battements. Comment reconstruit-on la société? C'est une question que se posait le héros de Eastern Boys, c'est une question qui est au cœur des préoccupations des militants de ce nouveau film. On ne cherche pas à agir selon la bonne conscience chez Campillo, on agit car il n'y a que cette façon d'agir. Au-delà d'Act Up, 120 battements par minute est un grand film politique sur le pouvoir du militantisme. Sur la nécessité d'alerter, interpeller, bousculer, et il ne s'agit pas là d'un film d'époque. Campillo a beau raconter des événements datant d'il y a plus de vingt ans, on imagine sans peine les cris d'orfraie qui accompagneraient aujourd'hui une action comme celle menée dans le film au sein-même d'un lycée.
La virtuosité n'est pourtant pas gratuite, et confirme une authentique démarche créatrice. Il faut aussi souligner l'harmonie du travail des collaborateurs artistiques et techniques, de la photo de Jeanne Lapoirie à la musique d'Arnaud Rebotini. Et Campillo dirige à merveille ses interprètes. Outre les deux acteurs cités, il faut mentionner Antoine Reinartz dans le rôle de Thibault, le président d'Act Up, ainsi que Félix Maritaud, que l'on reverra en 2018 dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet et Le Couteau dans le cœur de Yann Gonzalez. Surpassant les mélos hollywoodiens de type Philadelphia ou les expériences naguère tentées par Cyril Collard ( Les Nuits fauves, qui paraît rétrospectivement bien narcissique), ou Paul Vecchiali (le redoutable Encore/Once more), 120 battements par minutes est indiscutablement un grand moment de cinéma. Le film connaîtra une jolie carrière en salle, avant de triompher aux César, où il décrochera six compressions, dont celles du meilleur film et du meilleur espoir masculin pour Nahuél Pérez Biscayart.
Des cris qui assurément ne viendraient pas seulement d'associations d'intégristes haineux, mais aussi de politiques, de certains médias, d'une partie de la population – peut-être même d'homos. Les tonalités de 120 battements par minute sont moins riches et surprenantes que dans Eastern Boys qui, avec virtuosité, passait de l'approche doc au home invasion à la romance au thriller voire à la fantasy. Mais il y a ici un bloc de vie brandi et jeté avec une impressionnante puissance cathartique.
Alors que la lutte contre le sida est encore loin d'être remportée, les autorités publiques et les médias continuent encore de minimaliser le danger. Aujourd'hui le Sidaction n'est plus qu'un logo dans le coin de la télé pendant le temps d'une journée et beaucoup on dût oublier que le festival Solidays est avant tout là pour récolter des fonds pour aider l'association Solidarité Sida. Les campagnes de pubs n'osent toujours pas imposer le choc nécessaire où lorsqu'elles les font, elle se retrouvent rapidement censurée car le sida continue à juste titre d'effrayer même si beaucoup pensent à tort que la maladie est maintenant moins dangereuse. Même Act Up semble s'être aujourd'hui assagi et n'hésite pas à souffrir aussi à d'autres combats que celui du sida. Pour remobiliser les consciences, le réalisateur Robin Campillo, révélé par son premier film Les Revenants qui a donné naissance à la série, a choisi de revenir en 1990 à l'époque où l'épidémie était la plus sévère et que rien n'était pourtant encore fait pour mobiliser les consciences.