Cuba Libre! Éditions J'Ai Lu, collection Nouveaux Millénaires, 288 pages Prix ActuSF de l'Uchronie 2014 Grand Prix de l'Imaginaire catégorie Meilleur roman francophone 2015 L' uchronie est un des sous-genres les plus exigeants de la science-fiction. La raison en est simple: il faut jouer avec l'histoire tout en restant crédible et en se documentant le plus possible quand à la réalité historique. A ce petit jeu, le français Christophe Lambert a moult fois prouvé son amour pour cet exercice de style. On pense forcément à La Brèche autour du débarquement de Normandie ou à Zoulou Kingdom qui voyait des zoulous envahir le Royaume-Uni. Cette fois, il nous emmène à Cuba quelques années après la fameuse révolution avec Aucun homme n'est une île. Roman court (275 pages), il a cependant permis à son auteur de décrocher le prix ActuSF de l'uchronie en 2014 et le prestigieux Grand Prix de l'Imaginaire cette année. Devant cette consécration, on ne peut que porter une vive attention au dernier ouvrage du français.
On sent que l'auteur s'est énormément documenté, les notes de fin de l'ouvrage l'attestent, et a suffisamment digéré le tout pour présenter de manière sensée sa vision de la crise cubaine. L'autre écueil possible, lorsqu'on s'attaque à des personnages emblématiques comme Castro, Guevara ou Hemingway, c'est de ne pas en dresser des portraits fidèles. Encore une fois, Lambert s'en tire avec les honneurs, puisqu'il dépasse la simple utilisation de figures historiques éminemment connues en leur conférant une vraie profondeur, qu'il travaille sur la base des idéaux, mais aussi des faiblesses (la maladie pour Guevara, la vieillesse et la dépression pour Hemingway) des uns et des autres. Face à de tels monstres qui attirent l'attention, les personnages secondaires, Robert Stone, mais aussi le photographe Nestor Almendros, futur chef-opérateur de François Truffaut, ne sont pas réduits à de la figuration, mais ont aussi leurs propres aspirations et désirs. Le roman démarre par le subterfuge américain, mais cela ne s'arrête pas là: la manipulation est au centre de cette histoire, elle en constitue même le moteur principal.
Prix mérité à mon avis, pour un livre très original, efficace et bien écrit. S'il y a de nombreuses uchronies sur la Seconde Guerre mondiale, elles sont plus rares sur d'autres périodes, peut-être moins fascinantes dans l'esprit des auteurs et autrices. Pourtant, Christophe Lambert prouve avec brio que la guerre froide se prête autant à cet exercice. Il identifie une « péripétie » historique dont le déroulement ne s'est finalement pas joué à grand-chose. Ici, c'est le célèbre débarquement de la baie des Cochons qui aurait été repoussé dans le temps, mieux préparé, et donc finalement couronné de succès. C'est le premier déclencheur du livre: et si les Américains avaient envahi (certains diraient « libéré ») Cuba? Les conséquences historiques sont intéressantes avec un nouveau front pour les États-Unis, en sus du Vietnam, et pas de crise des missiles en 1962. L'auteur intègre également un deuxième élément uchronique, qui permettra d'ajouter un thème supplémentaire et de l'originalité: et si Hemingway ne s'était pas suicidé, et se mettait en tête d'interviewer Castro, et surtout le Che?
N'envoie donc jamais demander pour qui la cloche sonne: elle sonne pour toi. » (F. Lemonde, p. 71-72)
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